J’ai 18 ans demain. L’ASE me dit de libérer ma chambre d’hôtel et d’appeler le 115

Je m’appelle Mohammed-Lamine.

Ce vendredi 3 Avril 2020, j’ai eu 18 ans. Pour beaucoup de jeunes de mon âge, c’est une fête.

Pour moi, ça a été une dure journée. En pleine période de confinement, j’ai été mis dehors par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE).

Pour que vous compreniez, je dois vous raconter mon histoire. Je suis parti de Guinée à l’âge de 16 ans alors que j’étais dans une Académie de football qui prépare à la pratique professionnelle de ce sport.

En Guinée après le décès de ma mère puis de mon grand-père, je vivais avec ma sœur car mon père, qui avait répudié ma mère, ne m’apportait aucun soutien financier ou autre.

Le 4 Août 2018. Ma sœur aînée qui était ma mère de substitution et mon seul soutien financier, m’annonce que nous devons quitter notre maison pour partir “ailleurs”, pour notre bien, sans me donner de motif. N’ayant pas de ressources propres et ayant une confiance absolue en ma sœur, je la suis. J’espère secrètement qu’elle envisage pour moi un recrutement dans un club de football plus prestigieux que celui de Conakry.

Fin août / début Septembre 2018, après avoir traversé le Mali, le Burkina-Faso et le Niger, nous arrivons en Libye. À notre arrivée des sortes de militaires nous séparent et je ne verrai plus jamais ma sœur. Je suis désemparé et désespéré jusqu’à ce qu’un monsieur Sénégalais de Tripoli prenne pitié de moi et m’héberge chez lui durant 2 à 3 mois.

Novembre/Décembre ce monsieur m’explique que la seule solution est de rejoindre l’Europe par la mer. Il m’accompagne sur la côte où nous attendons un “zodiac” qui me prend en charge. Nous restons en mer 2 à 3 jours avant d’être pris en charge par un gros bateau de l’Union Européenne.

Arrivé en Calabre, en décembre 2018, je suis nourri et habillé puis transporté en bus jusqu’à Milan. Une personne de La Croix rouge, émue par mon parcours m’héberge chez elle durant plusieurs semaines, jusqu’à ce qu’elle parte en mission humanitaire en Syrie. Elle m’achète des vêtements et un téléphone.

Début Avril 2018, à Milan, alors que je cherche une solution suite au futur départ de la personne qui prend soin de moi, je rencontre un monsieur Burkinabé, qui m’explique qu’il a de la famille à Avignon, en France et que je peux l’accompagner. La dame de la croix rouge m’avait donné 100€ pour que je puisse faire le voyage.

Le 15 Avril 2019, nous arrivons à Marseille de nuit. Quand je me réveille le monsieur a disparu. Je me dis qu’il faut que j’essaye de le retrouver à Avignon, mais je trompe de train et j’arrive à l’aéroport Charles de Gaulle où on m’explique qu’il faut que je reprenne le train. Je repars.

À Avignon, un monsieur dans la rue à qui je raconte mon histoire, me dit d’aller au département. Je me présente au bureau de l’ASEt. Après m’avoir écouté, la responsable me fait part de son refus de prise en charge. Elle me dit que je fais physiquement plus âgé que l’âge que je déclare. Je n’avais pas de papiers, j’avais tout perdu en Lybie avec ma sœur.. On me donne un papier qui dit que ’’mon parcours migratoire présente des incohérences’’. Je parlais mal le français. J’étais stressé et fatigué. J’avais du mal à leur faire comprendre. Elle me dit que je peux faire un recours à Nîmes.

Je vais donc à Nîmes mais je suis à nouveau refusé.

Je retourne à Avignon. Un passant qui me voit seul, me donne un numéro de téléphone. J’appelle et un monsieur âgé vient me chercher et m’emmène à Rosmerta. Rosmerta, c’est lieu qui est tenu par des bénévoles et qui accueille les jeunes qui sont refusés par l’ASE et des familles sans papiers. Un lieu qui n’est pas « légal » m’expliquent les bénévoles. On me donne à manger, on me laisse me PNG - 186.1 kiodoucher et on me fait dormir dans une salle de réunion avec des canapés. Un autre garçon est là. Il est dans la même situation que moi. Il arrivé un peu avant moi. Au bout de trois jours, le 2 mai 2019 une bénévole nous dit qu’il n’y avait plus qu’une seule place dans les chambres en haut. L’un de nous doit continuer sa route pour chercher un abri ailleurs. Je dis que je peux continuer. J’étais arrivé en deuxième.

C’était le plus juste. La bénévole me donne son numéro de téléphone. Je peux l’appeler si je suis en difficulté. Elle me dit d’aller essayer de me présenter à Clermont-ferrand. Normalement la France protège les jeunes mineurs comme moi. À Clermont-Ferrand j’ai toujours la même réponse négative. Je n’ai nulle part ou aller. J’appelle la bénévole. Elle me conseille d’aller à Valence pour le week-end et d’essayer de contacter l’ASE de Valence le Lundi.

Elle appelle ses parents qui vivent à Valence, ils m’hébergent pour les deux jours.
Le 6 Mai 2019, l’ASE de Valence m’explique que le refus du bureau d’Avignon est transmis par ordinateur à tous les bureaux qui doivent suivre cette décision. Les parents de la bénévole m’hébergent. Quand il partent en vacances ou en déplacement professionnels d’autres personnes m’accueillent. Tous ces gens me nourrissent, m’habillent, m’aident pour les papiers, pour apprendre le français. Je veux aller à l’école, mais dans la Drôme c’est impossible. On ne peut pas aller à l’école si on est pas pris en charge par l’ASE. Je réussi au bout de plusieurs semaines et avec beaucoup de difficultés à faire venir des papiers officiels pour prouver mon identité.

Les bénévoles d’Avignon continuent à m’aider à distance. L’avocate fait des démarches pour moi. Au mois de septembre, une place se libère à Rosmerta. J’y vais et je commence enfin l’école. Je voulais faire un CAP ’’aide à la personne’’ parce que j’aime aider les gens. Surtout les personnes âgées. Mais il n’y a pas de place.
Je pars d’abord en classe UP2A au mois d’octobre, puis rapidement au mois de décembre, en CAP maçonnerie.

Enfin, le 24 février 2020, je passe devant la juge des enfants et elle reconnaît que je suis mineur. Quelques jours plus tard, je suis pris en charge par l’ASE d’Avignon. Je suis logé dans un hôtel. Tous les jours j’ai des tickets pour manger au restaurant chinois à côté de l’hôtels Je continue l’école. Je travaille dur pour m’améliorer. Je trouve un patron pour mon premier stage qui doit commencer le 23 mars 2020. Le 24 mars je dois aller à Paris pour récupérer ma carte consulaire. Tout est organisé avec des bénévoles qui vont m’aider à Paris aussi.

Mais soudain, le 13 mars 2020, c’est le confinement. L’école s’arrête. Je me retrouve dans ma chambre d’hôtel, je n’ai plus le droit de sortir. Je n’ai pas d’ordinateur alors je ne peux pas suivre mes cours. Je ne sais pas très bien utiliser internet. C’est compliqué. Je ne peux pas continuer à apprendre. J’attends. Et je m’inquiète parce que je le sais, le 3 avril, j’ai 18 ans. Et normalement l’ASE va arrêter de me prendre en charge. Les bénévoles qui m’aident me disent de me rassurer. Ils ne me laisseront pas tomber. Et puis, pendant le confinement, on ne me mettra pas dehors. C’est interdit.

Pourtant, le2 Avril, la veille de mon anniversaire, l’assistante sociale vient me voir dans ma chambre et me dit que le lendemain je dois partir. Je lui dit que je ne sais pas où aller. J’appelle les bénévoles. Elles me disent qu’elle vont essayer de m’aider.

Le 3 Avril 2020, c’est le jour de mes 18 ans. L’assistante sociale m’appelle elle me dit que je dois partir de l’hôtel. Je dois téléphoner au 115 pour me loger. Je le fais. On me dit que je dois rappeler à 15 heures. J’attends. Je m’inquiète. Je me demande si je pourrais reprendre l’école. Si je dois partir, je fais comment pour prendre mes affaires ? Je fais comment pour avoir une attestation ? On m’a dit que je ne pouvais pas sortir sans ! J’ai des bénévoles au téléphone. L’un d’entre eux appelle l’assistante sociale de l’ASE, elle lui raccroche au nez. À 15 heures, au 115, on me dit que je dois aller dans le centre ville. Au centre de la croix rouge. On me donne une adresse. Je ne vois pas du tout où c’est. Il n’y a pas de bus parce que c’est le confinement. Je demande à l’accueil de l’hôtel s’ils peuvent me garder mes affaires.

Ils sont d’accord pour les garder une semaine. Je fais un petit sac. Je pars à pied dans le centre-ville. Une bénévole me guide au téléphone. J’arrive à la croix rouge. On me met dans une chambre avec 2 autres personnes que je ne connais pas. Des hommes plus âgés. Qui n’ont pas de maison à eux. Je croyais qu’on devait rester isolés ?

C’est le soir de mes 18 ans. Je suis dans une chambre avec 2 inconnus. Les bénévoles tentent de me remonter le moral au téléphone. Ils me disent que l’avocate essaye de faire un recours. J’essaye de rester positif. Ça va aller mieux. J’espère.
Mais je trouve que cette situation n’est pas normale. Est-ce que je vais pouvoir continuer à aller à l’école ?

Mohamme-Lamine aidé par une bénévole pour écrire et mettre en forme mes mots.

Mohamed Lamine Camara