Un long parcours d’errance

Le parcours de ce jeune étranger est à l’image de la trajectoire et des espérances de beaucoup d’autres jeunes.

Je suis parti en errance après la mort de ma mère.

Ma mère travaillait dans une école privée payante. Avec son salaire elle faisait partie des personnes aisées, mais pas des bourgeois. Elle avait aussi un commerce : elle revendait des produits d’autres pays d’Afrique.

Mon père était alcoolique : tout son salaire partait dans l’alcool. Ma sœur et moi avons pu aller dans l’école où travaillait ma mère, car pour nous cette école était gratuite.

Mon père a épousé ma mère pour son argent. Il avait trois autres femmes. Ma mère s’est convertie au catholicisme. Mon père et sa famille étaient musulmans. Les gens et la famille disaient à mon père « tu ne peux épouser une catholique » …

Mon père a décidé que ma sœur et moi n’étions plus ses enfants. Il buvait, harcelait ma mère. Il était violent. Ma mère a déménagé. Mais mon père venait la voir et la frappait. Suite à une de ses visites, elle est morte d’une crise cardiaque.

Mon père nous a alors confiés à notre marâtre (sa première femme). Il nous a privés de liberté et nous a interdit d’aller à l’école. Il nous harcelait, nous insultait, il disait que nous n’étions pas ses enfants.

Orphelin

Je suis parti à 14 ans. Je vendais des sacs en plastique sur un marché en
Guinée, puis au Mali. Puis je suis allé en Algérie, j’ai travaillé dans le bâtiment. Je faisais l’entretien du chantier. Tous les ouvriers africains noirs sont confrontés à beaucoup de racisme.

Souvent, les chefs de chantiers arabes ne payent pas leurs salaires. Sur les marchés les denrées sont plus chères pour les Noirs.

Avec l’argent gagné, je suis parti en Libye. J’ai voyagé en pick-up et surtout à pieds.

Prisonnier en Libye

Arrivés en Libye, on nous a mis en prison après avoir pris tout notre argent. J’y suis resté un an car je ne pouvais appeler personne pour payer la rançon. Toutes les personnes étaient maltraitées : j’ai assisté à un viol ; un homme est mort devant moi car on lui a tiré dessus.

Des personnes pleuraient car elles avaient faim.

On demandait aux Africains de téléphoner à leur famille pour obtenir une rançon… Comme j’étais petit, j’ai eu de la chance d’être épargné.

Les prisonniers allaient travailler sur les chantiers, ou dans les champs. Ils n’étaient pas payés, mais ils pouvaient manger une fois par jour.

Je n’avais pas assez de forces alors on ne m’a plus emmené. Mais j’ai été contraint de transporter, à mains nues, les cadavres d’Africains tués dans la prison, dans la rue, ou trouvés dans les décharges.

Un Libyen qui ne voulait pas croire que je n’avais plus de famille m’a percé la main avec un tournevis. Je saignais, je pleurais. Son collègue m’a défendu et m’a dit qu’il me ferait passer en Italie.

Traversée de la Méditerranée

Nous étions 171 entassés sur le Zodiac. Nous avons navigué 4 ou 5 heures avant d’être repêchés par un bateau de sauvetage. Puis nous avons débarqué à Tarento.
On m’a emmené dans un campo où on a pris nos empreintes en nous disant que c’était pour nous protéger. On voulait prendre des cours. Mais on nous a répondu que ce n’était pas possible.

Puis j’ai été transféré dans un foyer. On réclamait d’aller à l’école. La dame qui tenait le foyer nous disait que nous étions trop nombreux, qu’il fallait attendre. Un jour, un
Sénégalais nous a dit que l’Italie voulait se débarrasser de nous. Moi je voulais aller en France pour faire des études. En Guinée, je voulais faire des études, alors je travaillais bien à l’école.

J’ai pris le train sans mes papiers restés au foyer. Je suis arrivé dans une petite ville près de la frontière.

Nous sommes partis à pieds dans la montagne. C’était au mois d’août. Nous dormions sous les sapins et avions froid. Nous avions peur d’être renvoyés en Italie. Une dame qui passait en voiture nous a vus. Elle nous a emmenés à Briançon.

Faire des études en France

Une association nous a accueilli et nous a fait manger. Puis, j’ai pris le train pour venir à Lyon. Je suis resté un mois avec d’autres jeunes sur les dalles à côté de la gare de la Part-Dieu. Un monsieur m’a aidé à faire venir un extrait de mon acte de naissance et j’ai été pris en charge par la MEOMIE. Mais personne ne s’occupait de moi.

Le monsieur a pris rendez-vous au CIO, et après les tests passés au
CASNAV, il a cherché une école.

Je suis maintenant en 2nde bac pro menuiserie. Ce métier me plait.

J’ai échappé à la mort en Guinée, puis en Libye. Je ne voulais pas mourir sauvagement sous les coups de mon père ou des geôliers libyens. En France, si je meurs, ce sera dignement.

Je viens d’avoir 18 ans. J’ai un contrat jeune majeur et suis toujours à l’hôtel. La MEOMIE me donne 250 euros par mois. Et je dois me débrouiller pour manger, payer le transport, les vêtements…

J’étais très inquiet. Le monsieur m’a montré comment gérer cet argent.
Je suis arrivé à mon objectif : faire des études. J’espère que je pourrais être accompagné afin de réaliser mes vœux jusqu’au bout.

Tino

Extraits du Journal : Jeunesse sans papiers Jeunesse volée