Lettre ouverte aux élu-e-s de la Métropole de Lyon

Le 6 novembre 2017, le Conseil métropolitain de Lyon présidé par David Kimelfeld avait à son ordre du jour l’adoption du Projet métropolitain des solidarités, feuille de route des politiques sociales de la Métropole pour la période 2017-2022.
Le collectif jeunes RESF 69 et RESF 69 ont distribuéce jour là, à l’entrée du conseil, une Lettre ouverte aux élus de la Métropole qui faisait part de leur inquiétude quant à la prise en charge des mineurs étrangers arrivés seuls dans l’agglomération et laissés alors plus ou moins longtemps à la rue.

* à noter que ce Projet métropolitain des solidarités a été adopté à l’unanimité

Madame, Monsieur,

Le Conseil de la Métropole de Lyon va délibérer ce lundi 6 novembre des "solidarités à l’égard de populations fragilisées" qu’il est de son rôle d’assumer.

La "solidarité" à l’égard de celles et ceux qu’on appelle les MIE ou MNA, mineur(e)s isolé(e)s étranger(e)s ou mineur(e)s non accompagné(e)s est de la compétence de la métropole et il est prévu, par la législation actuelle, qu’elle s’exerce au travers du dispositif de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), laquelle a pour mission de "mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs [en danger]".

Dégradation de la protection de l’enfance

Or, la dégradation des conditions dans lesquelles s’applique la protection de l’enfance à l’égard de ces jeunes n’a fait que s’amplifier au fil des dernières années, dès lors que ces enfants n’ont plus été considérés par le Conseil général puis la Métropole principalement comme des enfants à protéger, mais principalement comme des étrangers, fraudeurs potentiels devant être soumis à des « évaluations », des enquêtes policières, des jugements en comparutions immédiates au tribunal correctionnel, avec la Métropole constituée partie civile.

Aujourd’hui, plusieurs dizaines d’adolescents étrangers dorment chaque nuit dehors, au milieu des rats, à côté de la gare de la Part-Dieu, et ils y vivent chaque jour livrés à tous les dangers, en attendant que les services de la Métropole chargés de les évaluer veuillent bien les recevoir, puis les trier avec des méthodes aussi expéditives que contestables, comme la recherche d’incohérences dans leurs discours relatant leur parcours migratoire, le déni de leurs actes d’état civil, les tests osseux.

Des dizaines d’adolescents harcelés par la PAF

Aujourd’hui, des dizaines d’autres adolescents étrangers déjà pris en charge provisoirement, ou à titre plus définitif suite à des décisions de juges des enfants, sont harcelés par le Parquet et la Police de l’Air et des Frontières, suite à des demandes de vérifications de la Métropole. Certains de ces jeunes, placés dans des hôtels depuis plusieurs semaines (voire plusieurs mois) ne sont même pas scolarisées. D’autres déjà scolarisés, vont de convocation en convocation à la PAF, et font alors trop souvent l’objet d’Obligations de Quitter le Territoire sans délai et de mises en rétention administrative, au prétexte qu’ils seraient majeurs, alors qu’ils arrivent couramment à prouver leur minorité dès lors qu’ils sont aidés par des avocats ou retrouvent la liberté de contacter les ambassades de leurs pays d’origine…

Le coût de la prise en charge : discours et réalité

Certains discours en vogue incitent à penser que les jeunes migrants étrangers sont devenus si nombreux qu’ils constituent une charge insupportable pour les collectivités locales et la Métropole de Lyon. Nous ne pouvons accepter que les enfants étrangers servent de boucs-émissaires.

Selon le dernier rapport de l’Observatoire National de l’Action Sociale (ODAS, mai 2017 : Rapport Dépenses départementales d’action sociale en 2016 : Des résultats en trompe-l’œil), et selon un rapport du Sénat de juillet 2017, les MIE confiés à l’ASE seraient autour de 14 000 au plan national fin 2016, soit bien peu au regard des 320 000 enfants pris en charge par l’ASE. On s’orienterait vers 25 000 pris en charge en 2017, moins de 8% du total des enfants pris en charge en 2016. Le coût de la prise en charge des MIE tournait en 2015 autour de 13% des dépenses de l’ASE, et selon la Cour des Comptes, les dépenses sociales qui augmentent dans les départements entre 2011 et 2015 ne sont pas celles liées à l’enfance. Et à l’échelle de la métropole, la communication de tous les chiffres permettrait de mesurer objectivement la place des MIE dans le dispositif ASE de la Métropole de Lyon.

Quels nouveaux dispositif ?

Préoccupés par la situation dans laquelle sont plongés ces jeunes, nous avons appelé à manifester, le 11 octobre, devant l’Hôtel de la métropole et nous avons sollicité une audience auprès du président D. Kimelfeld. Par courrier, ce dernier nous a répondu que ses services travaillaient "à la mise en place d’un nouveau dispositif d’évaluation et de mise à l’abri" et qu’une "délibération serait prochainement présentée au conseil métropolitain".

S’agit-il d’élaborer, sous couvert de "mise à l’abri", de nouveaux dispositifs conduisant à sortir ces jeunes étrangers des dispositifs de la protection de l’enfance assurés par l’Aide Sociale à l’Enfance comme l’ont demandé les départements et les métropoles, et comme le gouvernement se prépare à le faire ?

Le droit à l’hébergement est un droit qui doit être respecté pour tous. Et la présomption de minorité et l’intérêt supérieur de l’enfant, tout comme le principe de non discrimination, sont aussi des principes de droit qui doivent s’appliquer à tous les enfants, jeunes étrangers inclus.

Assez de "tri" : pour une véritable protection

Nous voulons certes la mise à l’abri des jeunes migrants, mais pas dans des dispositifs d’hébergement d’urgence ou dans des structures-ghettos spécifiques prévues pour les « évaluer » et faisant en réalité fonction de sas, de "tri" avant une éventuelle prise en charge.

Nous voulons l’hébergement et la prise en charge immédiate de tous les jeunes migrants se disant mineurs ou jeunes majeurs, sous la responsabilité de l’ASE et de la Métropole, dans des foyers éducatifs où sera immédiatement pris en compte leur droit à la scolarisation, dans le cadre du droit commun.

Dans ce cadre pourra être organisée la consolidation de leur état civil, avec des démarches constructives auprès de leurs ambassades, n’ayant plus rien à voir avec la politique du soupçon actuellement à l’œuvre et tout traitement policier à visée répressive.

Espérant que, s’agissant de la situation des jeunes étrangers isolés, les délibérations du Conseil de la Métropole de ce jour s’inscriront dans le cadre du droit commun de la protection de l’enfance et non dans l’optique d’un nouveau dispositif dérogatoire, spécifique aux enfants étrangers isolés.

Collectif RESF Jeunes 69 et RESF 69
6 novembre 2017